Paroles d'expert Publié le 5 mars 2024

Pourquoi les automobilistes prennent leur voiture (seul.es) ?

Selon une croyance répandue, les automobilistes choisissent de conduire par habitude, par confort, par envie de reconnaissance sociale. Ou tout simplement parce qu’ils aiment leur voiture. En partant de ce constat, il pourrait être tentant de focaliser l’action publique sur le changement des mentalités ou vers des incitations ponctuelles pour aider à “passer le pas” des transports en commun ou du covoiturage. Cependant, une analyse attentive montre que le problème est plus profond.

Quand on les interroge, les automobilistes disent utiliser leur voiture par manque d’alternatives, notamment de transports en commun adaptés à leurs trajets. Pour ce qui est du covoiturage, si l’idée séduit, il est souvent vu comme trop contraignant. Des constats qui sont corroborés par l’économie des transports, qui montrent l’ampleur du défi à relever pour réduire la place des voitures dans nos vies et sur nos routes.

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Les automobilistes sont prêts à se passer de leur voiture, mais considèrent ne pas avoir d’alternative pratique

L’absence de transports en commun de qualité à proximité du domicile

Une enquête récente de l’institut Ipsos déconstruit le mythe selon lequel les Français roulent avant tout par plaisir. Ils sont 51% à déclarer qu’ils souhaiteraient se passer de leur voiture tout en estimant qu’ils ne peuvent pas. Et il ne s’agit pas d’une problématique d’urbains, qui ont souvent accès à des alternatives : la proportion augmente à 60% en zone périurbaine et 67% en zone rurale.

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Pourquoi une telle dépendance ?

D’après une autre enquête d’Ipsos et Transdev, les trois premières raisons qui justifient cette dépendance sont l’absence de lignes de transports, les fréquences trop faibles à des horaires inadaptés et l’absence d’arrêts à proximité du domicile.

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L’insuffisance de l’offre de transports en commun explique probablement pourquoi, dans l’enquête Ipsos 2022, ceux-ci ne sont que le 3ème levier identifié de réduction de l’impact écologique des déplacements, sensiblement derrière les modes actifs, et de manière plus significative, les véhicules électriques ou hybrides (écart du simple au double chez les 35 ans et +).

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Le covoiturage est pour sa part relayé en dernière position. Comment expliquer cet état de fait ? Est-ce vraiment parce que les automobilistes ont besoin d’un sas de décompression dans leur voiture après une journée de travail ?

Les contraintes organisationnelles associées au covoiturage quotidien

Ces dernières années, des rapports du Cerema ou du Shift Project ont souligné la multiplicité des freins au covoiturage quotidien. Celui-ci est globalement perçu comme complexe : “Il y a une idée de complexité très forte associée à la pratique du covoiturage : cela demande de s’organiser à l’avance, s’astreindre à une forte contrainte horaire, et implique une forme de « socialisation forcée » dans la voiture” (Shift Project).

Ecov réalise régulièrement des enquêtes locales, dans le cadre d’études menées pour les collectivités, qui permettent de hiérarchiser ces freins. D’un territoire à l’autre, ce sont toujours les freins liés aux contraintes organisationnelles qui ressortent en premier, beaucoup plus que la peur d’une “socialisation forcée” - le covoiturage est au contraire perçu comme une opportunité de faire de nouvelles rencontres.

Par exemple, l’enquête réalisée auprès de plus de 1000 personnes à l’échelle du pôle métropolitain Nantes Saint Nazaire en 2023 fait ressortir les contraintes sur les horaires et l’organisation des trajets comme les premiers freins. Le “souhait d’être seul” dans sa voiture n’est avancé que par 12 % des répondants.

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Ces éléments sont bien connus en économie des transports, qu’il est indispensable de mobiliser pour identifier les leviers pour s’attaquer structurellement à la dépendance à la voiture individuelle.

Confirmation par le coût généralisé : ce que nous enseigne l’économie des transports

La majorité des freins liés à l’adoption des transports en commun et du covoiturage, souvent labellisé comme “psychosociaux”, sont sont en réalité liés à un calcul rationnel très simple : celui du coût généralisé.

Le coût généralisé mesure toutes les contraintes présentes dans une prise de décision de déplacements. Il est constitué de deux formes de coûts:

  • Le coût monétaire qui s’apparente au coût direct ‘réel’. Il correspond par exemple au prix du trajet de bus, ou pour ce qui est de la voiture, engloble le coût du carburant, d’un éventuel péage, de l’entretien et de l’amortissement. Les automobilistes ont structurellement tendance à sous-estimer ce coût global de possession et d’usage d’un véhicule.
  • Le coût temporel qui mesure le poids des contraintes temporelles, organisationnelles, et conjoncturelles. Ces différentes contraintes sont traduites sous forme de temps puis de coût par une opération qui consiste à attribuer une valeur monétaire au temps (dans le calcul économique public, la valeur tutélaire du temps est proche de 10 € par heure).

Tout l’enjeu du covoiturage réside dans le fait que le coût monétaire représente en réalité très peu de choses par rapport au coût temporel. Le coût généralisé du covoiturage est grévé par l’allongement du temps de trajet, mais aussi par d’autres paramètres traduits en “temps” : contraintes horaires, risque de retard ou d’annulation et, lorsque le covoiturage n’est pas pratiqué par un binôme régulier, difficulté à trouver un équipage et temps de préparation.

Le schéma ci-dessous, réalisé par Ecov, attribue une valeur “temps” à ces différents facteurs, traduites en coût, pour un conducteur sur un trajet de 15 kilomètres.

Selon un article publié par l’économiste Yves Crozet en 2022 intitulé Le covoiturage courte distance à la peine, celui-ci est ainsi structurellement moins performant que la voiture : “le covoiturage est attractif quand sa mise en place est simple, par exemple à l’intérieur de la famille ou dans le même milieu professionnel, car dans ces cas-là, le trajet retour est programmé avec l’aller. Ce n’est que rarement le cas dans un covoiturage intermédié où existe un risque sur le temps de parcours.”

La solution est donc selon l’article de rééquilibrer drastiquement le coût temporel entre les modes. “Ce qui change radicalement la donne est d’une part la réduction de la vitesse pour l’autosolisme et d’autre part l’amélioration de la vitesse du covoiturage”, par exemple via des voies réservées ou la mise en place de garanties pour le retour.

Le parallèle est possible avec les enjeux de fréquence et de fiabilité transports en commun : la contrainte de viser un horaire précis à l’aller et au retour pour un bus, ou le risque de retard ou d’annulation d’un train, sont des facteurs-clés dans la préférence pour la flexibilité offerte par la voiture individuelle.

“Croire que les Français basculeront de la voiture au transport public sans un avantage en temps de parcours ou en coût relève de la pensée magique” écrivaient Jean Coldefy et Yves Crozet en août 2023. Leur tribune prend position pour le passage de la voiture individuelle à un transport public fiable et rapide pour atteindre l’objectif gouvernemental visant à “abaisser de 80 % à 65 % la part kilométrique de la voiture, ce qui serait un record mondial. Atteindre cet objectif suppose un choc d’offres de transport public entre le périurbain et les agglomérations, et ensuite de contraintes sur l’usage de la voiture pour accéder à la ville.”

Le choc d’offre de transports express annoncé par la loi sur les SERM va en ce sens, bien que géographiquement limité aux axes principaux d’accès aux grandes métropoles. Pour ce qui est du covoiturage, deux modèles sont actuellement portés par les politiques publiques et par des opérateurs :

  • Les subventions financières aux covoitureurs, visant à réduire le coût monétaire des trajets.
  • Le développement de lignes de covoiturage express, sans réservation pour les usagers. Ce modèle porté par Ecov est une variante des transports express, complémentaire au RER ou au car express, plutôt qu’une déclinaison du covoiturage classique. Il s’attaque avant tout à la flexibilisation des parcours, pour faire du partage de trajets un mode aussi fréquent, fiable et pratique qu’un bus à haut niveau de service. C’est la variable temps du coût généralisé qui est principalement réduite pour les usagers.

Pour approfondir, Ecov avait organisé en 2020 un webinaire avec Yves Crozet, sur le thème “Du monde d'avant au monde d'après, le rôle des coûts généralisés”. Au-delà de l’enjeu spécifique lié aux sorties de confinements, l’échange adresse en détail le rôle du coût généralisé dans le choix des modes de transport

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